Depuis combien de temps faisait- je maintenant le même rêve? ma mémoire, pourtant
excellente ne parvenais pas à se le rappeler. Certaines images demeuraient floues.
Néanmoins, je me revoyais à mes quatre ans marchant au côté de ma mère et d’un petit
garçon au visage triste à peine plus âgé que moi; mon frère Jean.
Ma mère, le plus que je me souvienne était ( mais est-elle encore en vie? au plus profond
de moi je l’espère ) une jolie femme aux longs cheveux d’un beau châtain clair. Elle les
coiffait toujours en un chignon bien serré au bas de la nuque, ce qui à mon avis s’avérait
être une coiffure bien trop sévère pour son visage si doux et fatigué.
Le soir, alors que ma mère me pensait endormie, je me levais et doucement ouvrais la
porte de notre chambre communicante en espérant ne pas faire de bruit. Par
l’entrebaîllement, je la regardais enlever les épingles une à une puis passer ses doigts
longs et fins dans ses cheveux pour les lisser. Pour finir, elle prenait sa brosse en soie et
dans un geste lent, presque cérémonieux la passait lentement pour les démêler. j’ouvrais
alors grand mes yeux devant ce si joli rituel. Mon dieu qu’ils étaient beaux. Je retenait
ma respiration, mais la peur d’être prise ne flagrant délit je retournais bien vite me
coucher.
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Le lendemain, je retrouvais ma mère levée aux aurores avec ce fichu chignon refait.
Mais comme j’allais l’apprendre plus tard, les vieux principes et le quand dira-t-on
ont la vie dure. Elle aimais à dire qu’il n’était jamais bon de se faire remarquer
avec des frivolités et qu’il fallait toujours marcher droit devant soit et ne pas écouter
les paroles malveillantes des vieilles bigotes, comme elle aimait les appeler. Je ne
comprenais pas bien le sens de ses paroles. Qu’avions-nous fait de mal ? Je voyais bien;
lorsque nous allions au marché, les gens se retourner à notre passage, puis se rassembler
et se lancer dans des conversations où des « oh » et des « ah », si ce n’est pas malheureux de
désapprobation, me parvenir. Ma mère, je pense, faisait semblant de ne pas les entendre
et nous entraînait à sa suite le long des étales des marchands. Cette médisance serait-elle
la raison que nous n’avions pas de père? Le fait d’être seule avec deux enfants était-ce à
ce point si honteux pour cette population si bien pensante ?
Lorsque, timidement je posais la question à mon frère pourquoi nous n’avions pas de
papa, il me répondait que notre mère lui avait dit qu’il était parti en nous laissant seul
tous les trois et que les gens du village pensaient qu’elle en était responsable.
Responsable de quoi? D’un homme lâche qui avait fuit ses responsabilités ? Pour
ma part n’ayant jamais connu ce père, il ne me manquait pas et j’étais certaine que c’est
pour cette raison que je ne voyais jamais ma mère sourire.
Un matin, ma mère nous leva plus tôt que d’habitude. Elle m’habilla à la hâte puis, les
yeux encore embués du sommeil réparateur, je pénétrais dans la salle commune.
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j’aperçu deux valises contre le mur près de la porte d’entrée, mon frère qui me suivait les
remarqua également et en demanda la raison. Notre mère , un peu gênée lui répondit
par quelques mots qui ne sembla pas convaincre celui-ci. Cependant, il eut la politesse
de ne pas insister.
Je pressentais dans mon esprit de petite fille qu’il se passait quelque chose, un
évènement de grande importance qui allait changer ma vie à peine commencée. Je ne
parvenais cependant pas à en savoir le pourquoi. Notre mère, tout en nettoyant des
miettes de pain du dîner de la veille laissée sur la table nous demanda de nous
dépêcher de finir notre petit déjeuner. La dernière bouchée avalée, elle lava rapidement
nos bols, puis nous aida à mettre nos souliers. Elle jeta vivement un châle sur ses
épaules, puis nous partîmes.
Rapidement nous traversâmes le village sans rencontrer un seul de nos voisins.
néanmoins , mon regard curieux de petite fille avait surpris des yeux qui nous
épiaient derrière les rideaux. A la sorti du village, nous marchions à présent le
long de la départementale. Je suivais la cadence avec peine, mes chaussures neuves
commençaient à me faire mal. Le frottement du cuir malgré mon collant contre mon
talon ne tarda pas à faire apparaître une ampoule qui me brûlait la peau. Je serrais
courageusement les dents m’efforçant de n’en laisser rien paraître. Cherchant un
peu de compassion, je levais les yeux espérant attirer l’attention de ma mère, mais
celle-ci regardait droit devant elle. Mon malaise s’accentua. Pour me rassurer et oublier
mon mal de pieds, je contemplais le paysage. Le long de la route, j’admirais les violettes
et les pâquerettes qui inondaient à cette époque de l’année les bas-côtés et les fossés.
J’aurais voulu en cueillir un bouquet pour l’offrir à ma mère, mais devant son visage
fermé j’oubliais bien vite cette idée.
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J’en fut fortement déçue. Mon frère commença à se plaindre qu’il était fatigué mais
notre mère; avec un geste d’agacement pressa un peu plus le pas. Soucieuse de ne
pas la contrarier moi-même avec mon problème d’ampoule aux pieds, je repris ma
contemplation du paysage. Sur ma droite, j’aperçu de jolies vaches à la robe dorée
dans un pré. Celles-ci, nonchalantes ruminaient tout en nous regardant passer. Je
fus émerveillée par leurs grands yeux si doux et en même temps effrayée par leurs
cornes qui semblaient me menacer. Je me risquais à un timide :
– Oh ! maman regarde les vaches….
Sans leur jeter un regard, celle-ci soupira en m’ordonnant d’avancer. Me le tenant pour
dit, je ne prononça plus un mot me contentant de poursuivre seule ma contemplation.
Nous arrivâmes enfin à la gare routière dont j’ignorais le nom ( je sus bien plus tard
qu’il s’agissait d’ Angoulême).
Ma mère posa sa valise et nous aida à nous asseoir sur un banc. Je fus heureuse de
pouvoir me reposer et soulager mes pieds. Je souffrais le martyre. J’observais
machinalement les quelques personnes qui, comme nous attendaient le bus. Je fus
intriguée par leur visage fermé. Elles semblaient perdues dans leurs pensées et ne
faisaient pas attention à nous. J’en fus soulagée et un peu surprise, habituée aux
bavardages malveillants des villageois d’où nous venions, à notre sujet
Au bout de quelques minutes d’attente, nous vîmes arriver le bus. Ma mère m’aida
à descendre du banc et nous recommanda de bien rester près d’elle. Les voyageurs
montèrent lentement les uns après les autres, puis ce fut à notre tour. Toujours à cause
de mon mal aux pieds, je montais péniblement les marches, que je trouvais bien hautes
au vue de ma petite taille. Enfin, nous nous installâmes sur nos sièges. Le dernier
voyageur monté, le chauffeur referma les battants de la porte du bus; puis démarra.
Épuisée, je ne tardais pas à m’endormir. Ma mère me réveilla alors que le bus entrait
en gare routière de Bordeaux. J’étais à peine éveillée que mon frère et moi étions
entraînés à travers de grandes rues plus animées les une que les autres. Elles
grouillaient de gens pressés, de dames en belles toilettes. Jamais encore de ma courte
vie, je n’avais vu quelque chose de si grand. Je voyais pour la première fois à quoi
ressemblait une grande ville. Cela me donna le tournis. Je me tordait le cou pour tout
regarder. Les magasins me ravissaient. il y avait tant de jolies choses. Là, un magasin
ou l’on vendait des chapeaux; ici, un fleuriste. Tout m’émerveillait. Je fus vite ramenée
à la réalité; ma mère exaspérée par ma curiosité me tira brutalement le bras.
– Dépêche toi veux-tu? Où nous allons arriver en retard.
Rappelée ainsi à l’ordre, je suivi sagement sans plus lever les yeux de crainte d’une
nouvelle remontrance. Après une dernière rue traversée, ma mère s’arrêta devant
un grand bâtiment et frappa la porte avec force. Après quelques longs instants
qui me paru interminables une religieuse nous ouvrit. La sévérité de son regard
m’impressionna. Je me cacha dernière les jupes de ma mère. Que faisions -nous là?
Je le compris malheureusement très vite ainsi que mon frère qui, pour me rassurer
où se rassurer lui-même me prit la main.
La religieuse qui nous avait accueilli nous invita à entrer dans une pièce qui
s’avérait être un bureau. Une autre religieuse qui semblait nous attendre salua notre
mère et se présenta comme étant la mère supérieure. Tout en regardant ma mère
d’un œil sévère, elle nous invita à nous asseoir sur des chaises qui avaient fait leur temps
au vu de leurs états. La mère supérieure prit place derrière son bureau, puis autant son
regard m’avait paru froid, sa voix douce changeait le contraste.
Patiemment et avec beaucoup de compassion, elle demanda à ma mère , en qui je
devinait toute la détresse, si sa décision était prise et si elle en assumait toutes
les conséquences.
Sans un regard pour la religieuse, ma mère répondit ‘ »oui » d’une voix à peine audible.
Cette dernière lui tendit des formulaires que notre mère signa à la hâte, puis dans un
sanglot elle nous embrassas et sans se retourner quitta la pièce. Anéantie par cet
évènement qui me marquera à jamais, je couru derrière ma mère, mais fus vite
arrêtée par une religieuse qui attendait dans la pièce voisine. L’affolement me prit
et je mis à crier. S’en était trop pour moi. J’avais compris qu’elle nous abandonnait;
mon frère aussi . Nous étions à présent des orphelins. Je me précipitais dans les bras
de mon frère et me mis à pleurer doucement.
Mon frère, quand à lui, tentait courageusement de retenir ses larmes.
*
Dans notre malheur, nous ne sommes pas resté longtemps dans cet orphelinat,
fort heureusement. Mon frère et moi avons été très vite adoptés, cependant, pas
dans la même famille. J’en ai beaucoup souffert dans les premières années, mais
mes parents adoptifs, des notables déjà d’un certain âge, avec beaucoup d’amour
et de patience surent me rendre la vie moins pénible.
J’ai vécu une enfance heureuse avec ces gens que j’appelle toujours affectueusement
Mam et Daddy. Je suis devenue par la suite avocate et vole à présent de mes propres
ailes. Mais une obsession était toujours présente en moi; celle de retrouver un jour
mon frère. Je souffrais intérieurement de son absence.
Ou était-il?
Mes parents adoptifs, avec qui j’en avait discuté un soir au cours d’un dîner
m’avaient affirmé qu’ils n’en avaient pas la moindre idée. Je pensais alors
que le mieux serais d’aller me renseigner auprès de la mère supérieure
de l’orphelinat.
Mais, comme j’allais le constater, la vie n’est pas aussi cruelle que l’on peut
bien croire et réserve parfois de belle surprise, ce qui allait être mon cas
et voici comment.
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Durant l’été du mois d’août 1963, après des mois à plaider à la barre des
tribunaux je décidai de prendre deux semaines de vacances bien méritées
à Nice.
J’avais jeté mon dévolu sur un chic hôtel près du port. L’air de la méditérannée
me fit le plus grand bien. Durant les jours qui suivirent, j’avais totalement
oublié mon travail, allant le plus souvent passer mes journées sur la plage.
La veille de mon départ, je décidais de faire une ballade le long du vieux port.
Un vieux marin proposait des promenades sur son bateau de plaisance à un
prix raisonnable.
A mon arrivée ,quelques personnes attendaient leur tour pour embarquer.
Perdue dans mes pensées, je suivais sagement la file d’attente. Sans vraiment
m’en rendre compte, je me mis à observer les visages devant moi. Certains
demeuraient, d’autres discutaient de la beauté du port et des bateaux. Mon
regard s’arrêta soudain sur un visage qui me sembla familier, sans pour autant
le reconnaître. Désabusée, le trouble se fit dans mon esprit, j’en était presque
certaine. Oui !!!!! je connaissais ce visage mais ou l’avais6 je déjà vu? Mon
cerveau fonctionnait à cent à l’heure, mon trouble grandissait. Je refléchissais
à en avoir mal à la tête. Soudain, un souvenir, d’abord furtif puis bien réel
resurgit dans un coin de ma mémoire.
Cet inconnu au visage si triste, je le reconnaissait. Le doute persistait à me
contredire, mais je le balayait très vite. Mes jambes se dérobaient sous moi,
il fallait à tout prix que je me ressaisisse. D’un pas décidé, je me dirigeait
vers cet inconnu. Il me tournait à présent le dos. Après une courte
hésitation, je posais ma main sur son épaule. L’homme sursauta
légèrement, puis se retourna. Je ne savait pas comment aborder la
conversation.
-Excusez ma curiosité…………
Je m’arrêtais, incapable d’aller plus loin.
-Oui? Quelque chose ne vas pas? Vous me semblez troublée répondit-il
en me fixant intensément.
Je fis un effort surhumain pour reprendre le contrôle de moi-même.
-Je sais que cela va vous paraître grotesque et vous aurez sûrement raison,
mais vous me rappelez étrangement quelqu’un……..
-Quelqu’un ?
-Oui. Oh !!!!! excusez-moi, mais je vais être un peu directe. Auriez-vous eu
une sœur dont vous avez été séparée dans votre enfance. Elle se prénommait
Anne…..
L’inconnu tressaillit. Il répondit après un long instant de silence, comme s’il cherchait
lui aussi dans sa mémoire.
-Oui en effet, j’ai bien une sœur qui se prénomme Anne. Nous avons été emmené
par notre mère dans un orphelinat à Bordeaux alors que nous étions que des enfants.
Nous avions 4 et 5 ans si je me souviens bien. C’était à l’orphelinat Sainte-Lucie. Nous
avons été séparé. Ma sœur a été adopté peu de temps après notre arrivée. Mais
pourquoi cette question?
Je manquai de m’évanouir en entendant cette révélation. Je repris mes esprits
tant bien que mal.
-Et bien, vous me rappelez beaucoup ce frère.
-Et comment se prénommait-il ce frère ?
-Jean …… Jean Devaux.
Les yeux de l’inconnu s’agrandirent.
-Mais c’est aussi mon nom……Jean Devaux…. Serait-il possible….
La stupéfaction était à son comble pour tous les deux lorsqu’à cet instant
une voix nous invita à nous avancer.
-Allons, le monsieur et la petite dame, nous n’avons pas toute la journée, peuchère!
un peu penauds, nous nous avançâmes et prirent place sur des sortes de chaises en
toiles.
Le bateau sortit lentement du port. Après quelques minutes à contempler l’horizon,
je repris la conversation.
-Donc, vous me disiez à l’instant que votre nom était Jean Devaux! J’ai un frère qui
s’appelle comme vous, n’est-ce-pas étrange?
-C’est certainement une coïncidence, mais vous? comment vous appelez-vous?
-Anne Devaux, de mon nom de jeune fille… comme vous et moi même je viens de
l’orphelinat de Sainte-Lucie à Bordeaux. Serait-il possible que vous soyez le frère
que je recherche depuis si longtemps?
-Cela ne serait pas impossible, il est vrai selon toute logique.
Le doute que nous avions se dissipa et nous partîmes dans un grand éclat de rire.
Les gens médusés se retournèrent, nous prenant certainement pour des fous.
Une joie immense s’empara de nous. L’inconnu me prit les mains, puis nous
partîmes dans une discussion effrénée. Tout doute était à présent levé. Je venais,
par une chance incroyable et la magie du destin de retrouver mon frère.
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